Perry HENZELL
-Né
le 7 Mars 1936 à Annotto Bay (Paroisse de Saint Mary, Comté du Middlesex,
Jamaïque [Colonie Britannique])
-Décédé
le 30 Novembre 2006 à Treasure Beach (Paroisse de Saint Elizabeth, Comté de
Cornwall, Jamaïque)
RÉALISATEUR,
SCÉNARISTE, PRODUCTEUR, ACTEUR ET ROMANCIER JAMAÏCAIN
BIOGRAPHIE
La Jamaïque...
Certes, il y a bien deux ou trois choses que je sais d'elle, de cette île
étirée entre le ciel et l'eau, enchâssée au milieu de la mer des Antilles,
posant pudiquement à l'ombre de ses grandes sœurs cubaine et haïtienne... La
Jamaïque, naïade mûlatresse à la peau bistrée, baignant nonchalamment ses 285
kilomètres de courbes côtières dans l'eau caribéenne, exhibant timidement ses
plages idylliques et ses hôtels clinquants comme autant de clins d'œil pour
touristes nantis...
Et puis? il y a son cœur, son cœur tout
noir de misère, un vaste ghetto sur pilotis, à peine caché par des montagnes
pourtant gigantesques... Un cœur malmené par les cyclones, les ouragans, et
quelque mille ans de colonisation, un cœur désabusé par les rébellions
avortées... Un cœur bigarré, à majorité africaine, composé essentiellement de
descendants d'esclaves, affranchis depuis 1833... Un cœur devenu enfin
indépendant en 1962, mais sous la forme d'une monarchie constitutionnelle, et
sous gouvernorat britannique... Un cœur qui parle presque exclusivement le
créole jamaïcain - combinaison de divers dialectes venus d'Afrique mêlés à
l'anglais - mais une langue que l'on ne reconnaît pas officiellement...
Et cependant un cœur qui prie, puisque 80
% des Jamaïcains sont de confession religieuse - principalement chrétienne...
Et puis aussi un cœur qui chante et danse... Ainsi, le reggae est-il né d'un
savant métissage de la musique traditionnelle caribéenne, du jazz et du
rhythm'n'blues importé des États-Unis, et influencé par la culture rasta
(produit à la fois philosophique et religieux d'un ensemble de croyances, de
coutumes et de traditions, dont le dogme vise à prouver que le Christ et les
enfants d'Israël sont noirs) dont il véhicule le message...
Si, aujourd'hui, de par le monde, bon
nombre de styles musicaux s'inspirent ou intègrent le rythme reggae, si des
formations occidentales notoires
(Police, UB 40, Eddy Grant,...) ont construit peu ou prou leur renommée sur ses
sonorités, c'est bien sûr en majeure partie grâce au charisme incontesté de son
principal ambassadeur, Bob MARLEY, ou à ses lieutenants les plus talentueux -
Peter TOSH, Jimmy CLIFF,... mais pas seulement !...
Perry HENZELL, dont le nom reste attaché
à une œuvre unique dans le paysage cinématographique mondial, est indissociable
de l'universalité du mouvement reggae, et un porte-parole exceptionnel des
revendications de la communauté noire jamaïcaine... Né le 7 Mars 1936 en
Jamaïque, mais formé à l'école du cinéma canadienne, il rentre dans sa terre
natale en 1959, où il affine son métier par la réalisation de documentaires et
de spots publicitaires...
"Tout, tout de suite (The Harder
They Come)", sorti dans les salles du monde entier en 1972, et
historiquement le premier film de l'histoire de la Jamaïque, est un "coup
de poing", un véritable OVNI visuel et musical... Entièrement écrit,
produit et réalisé par Perry HENZELL en personne pour un coût dérisoire, il est
loin d'avoir les défauts habituellement inhérents au genre - ceux du vidéo-clip
de longue durée. En plus d'être émaillé d'une bande-son magistrale dont
certains titres sont devenus depuis des standards, il constitue la parabole
adroite sur la naissance et la chute d'un chanteur aussi talentueux que naïf,
si représentatif de l'artiste incompris aux prises avec des producteurs véreux,
avec en toile de fond la faune miséreuse et corruptible des bidonvilles de
Kingston la maudite...
C'est Jimmy CLIFF, encore à cette époque
jeune espoir du reggae à l'ombre du "grand Bob", qui incarne le
chanteur néophyte au destin tragique; il est dans le film un garçon de la
campagne qui monte à la capitale, moins en quête de renommée que pour quitter
une condition misérable et vivre de sa passion vocale... Exploité par un
producteur avisé qui le paiera seulement 20 dollars pour qu'il enregistre sa
première chanson, il sombrera par désœuvrement dans la criminalité. Dealer de
marijuana puis tueur de flic blanc, il deviendra malgré lui le modèle de la
rébellion du Noir opprimé, et - comble de l'ironie - cette notoriété soudaine
le mènera au sommet des hit-parades jamaïcains...
Le récit est fictif, certes, mais Perry
HENZELL confessera s'être largement inspiré de la vie d'Ivan Rhying, sorte de
"Robin des Bois" jamaïcain de Trenchtown, le ghetto de Kingston,
abattu par la police en 1948... On devine aisément que le film ait pu déranger
la minorité blanche au pouvoir en Jamaïque, mais qu'importe puisqu'il sera un
véritable phénomène à travers le monde, aidé en cela par une bande originale de
très grande qualité, où figurent notamment quatre titres originaux écrits par
Jimmy CLIFF lui-même (dont le fameux "Many Rivers To Cross")...
Ce succès cinématographique fera la
légende de Perry HENZELL, autant que du producteur de disques Chris BLACKWELL,
ami d'enfance du cinéaste, et créateur de l'emblématique label de reggae Island
Records... Pourtant, contre toute attente, HENZELL mettra trente ans à achever
son autre film : "No Place Like Home". Commencé en 1970, soit deux
ans avant "The Harder They Come", le film sera délaissé pour raisons
financières...
Entretemps, Perry HENZELL exercera son
imagination et son engagement au moyen d'autres supports médiatiques: la scène
d'abord, avec une comédie musicale sur la vie de Marcus GARVEY (1887-1940),
prophète jamaïcain émigré aux États-Unis, père de la culture rasta, qui lutta
toute sa vie pour l'amélioration de la condition noire. Puis ce sera l'écriture
de deux romans, dont "Power Game", que HENZELL avait projeté
d'adapter à l'écran pour en faire l'ultime volet d'un triptyque, après
"The Harder They Come" et "No Place Like Home"... Mais le
destin ne lui en laissera pas le temps...
Au début de l'année 2006, les choses
s'accélèrent: il peut enfin terminer la production de "No Place Like
Home", après avoir patiemment mis de côté durant huit ans le million et
demi de dollars qui lui manquait... Devant un HENZELL à la fois fébrile et
excité comme un gamin, le public canadien du Festival International du Film de
Toronto, au mois de septembre, réserve un chaleureux accueil au film... Pour le
cinéaste, c'est un soulagement, une récompense aussi, et puis surtout un sursis
à la douleur....
Mais la douleur se réveille, tenace... et
Perry HENZELL, surmené par un trop plein d'activités accumulées en quelques
mois (il a assuré l'écriture du livret et une partie de la production de la
comédie musicale tirée du film "The Harder They Come", qui a démarré
en mars de la même année à Londres, et qui sera reprise en janvier 2007), ne
peut plus la contenir... Il s'éteint le 30 novembre 2006, vaincu par un cancer
de la moelle osseuse dont il souffrait depuis sept ans, quelques heures à peine
avant la première représentation de son film "No Place Like Home" au
Festival du Film de Flashpoint à Negril, chez les siens en Jamaïque....
Au fait, j'allais oublier de vous dire
!... Le plus important... Perry HENZELL, le vecteur de la musique reggae à
travers le monde, le porte-parole des revendications de la communauté noire
jamaïcaine... était un Blanc!... Une belle leçon de tolérance, en définitive,
n'est-il pas vrai ?...
Christophe
JACOB © Cinéma m’était conté - pour “Les Gens du Cinéma” (Mise à jour le
09/12/2006)
FILMOGRAPHIE :
*FILMS
:
Comme
réalisateur, scénariste et producteur :
1972 Tout, tout de suite
Titre
original : The Harder They Come
Co-scénariste :
Trevor D. RHONE ; Interprétation : Jimmy CLIFF, Janet
BARKLEY, Carl
BRADSHAW,...
Jamaïque. Drame Musical. Couleurs. Durée
appr. : 100 mn.
Comme
acteur seulement :
2005 Midnight Movies : From The Margin To The
Mainstream
Titre original
: Midnight Movies : From The Margin To The Mainstream
Réalisation et scénario : Stuart SAMUELS ; Avec la
participation de :
George A.
ROMERO, Alejandro JODOROWSKY, John WATERS, ...
Canada / USA. Documentaire.
Couleurs. Durée appr. : 88 mn.
Comme
réalisateur, scénariste, producteur et acteur :
2006
No Place
Like Home
Co-producteurs : David GARONZIK et Chris
ROMANO ;
Interprétation : Carl BRADSHAW, COUNTRYMAN,
P.J. SOLES,...
USA / Jamaïque. Drame Musical. Couleurs.
Durée appr. : 95 mn.
*BIBLIOGRAPHIE
:
Comme
auteur :
1982 Power Game
Roman
de Politique-Fiction. Éditions Ventana, Los Angeles.
2003 Cane
Drame
Historique. Éditions Ventana, Los Angeles.
Christophe
JACOB © Cinéma m’était conté - pour “Les Gens du Cinéma” (Mise à jour le
09/12/2006)